Hélène Bard

Écrivaine  ●  réviseure linguistique et stylistique  ​●  Mentore littéraire

​​La merde — 11 décembre 2015

C’te fille-là, c’t’un déchet social. Une vraie pas d’amis. La fille qui avait des poux dans cour d’école pis qu’y était tu seule dans son coin. On voulait pas jouer avec. A l’avait les cheveux sales, son linge ‘tait lette. A portait les jeans de ses cousines. Des culottes patchées pis des affaires pus à mode. La pas d’amis de la classe qu’on voulait pas avoir dans note équipe. Intait tu seule dans son banc d’autobus, pis Jo, qui avait doublé, y tirait les cheveux. A défaisait ses chignons pis a riait d’elle. A y disait qu’a allait toutes nous donner des poux. Pis la tite crisse de niaiseuse pleurait. A rentrait chez eux en morvant.

Y en avait même une de la classe qui la traitait de lesbienne. Esti, une lesbienne. Avait même pas huit ans pis on la traitait de lesbienne. A savait même pas ce que ça voulait dire. Intait allée voir la prof à récré pour y demander. La prof y avait dit de chercher dans’l Larousse. T’sé, les définitions du dictionnaire, ça veut pas dire grand-chose quand t’as huit ans. Ça peut prendre genre cinq minutes pour trouver le mot, faut que tu tournes les pages pis que tu te rappelles l’ordre alphabétique. Criss, tu le demandes à ta mére. Tu te fais pas chier à fouiller dins livres toute la récrée, esti. Faut être pas d’amis pour niaiser de même dans’l Larousse au lieu d’jouer au ballon avec les tit gars.

A jamais eu d’amis, c’te fille-là. Ben… une, genre, une fille rejet comme elle. Y était tout le temps ensemble. On pouvait rire des deux. Deux lesbiennes. Celle qui l’écœurait avait raison, finalement. Paraît qu’a les avait vues se tenir par la main pis se donner des becs en cachette. Y avait un fif, pis une lesbienne. Le fif, y a fini par se tirer une balle. Ça doit faire au moins quinze ans, asteure. Esti.

Au secondaire, note lesbienne, intait tu seule dans café avec ses livres pis son tit cahier de notes. A l’écrivait de la powésie, toé. Des powèmes d’amour de noune. Esti ! Y a plein de gens qui y criaient toutes sortes de conneries. « Bottes de chantier. » « Bas de laine. » « Tites boules. » On aurait dit qu’a les entendait pus. Ça faisait tellement longtemps qu’a se faisait écœurer. Y a une fois, y a un grand de six pieds qui l’avait coincée dans un coin. Intait pas grosse, la fille. Genre cent livres avec son manteau d’hiver mouillé. A l’avait levé la tête pis a l’avait regardé drette dins yeux. A y avait dit : « profites-en, ça doit être le plus proche que tu t’es retrouvé d’une fille, à part ta mére. » Ses chums avaient tellement ri de lui. J’me souviens pus c’t’ait qui, le gars. Y venait d’un rang, genre.

La fille, a toujours pas d’amis. Un déchet social, j’te dis. Que’qu’un qu’on veut pas dans sa famille. Que’qu’un qu’on veut pas dans sa vie. Paraît qu’a travaille tu seule che-z-eux. Pis que personne l’appelle jamais. Son téléphone sonne pas, genre. A l’écrit rien su son Facebook. A met pas de photos. A pas l’air d’avoir de chum... ou de blonde, esti. A fini par prendre son trou. On la voit pus. Est pus icitte ; sa mère, son père, oui. Mais elle, non. Est pus icitte. A fait sa lesbienne en ville.

Ma sœur l’a vue dans sa rue. Paraît qu’a reste dans son coin. Intait tu seule avec son chien plein de bouette. Mal habillée avec un manteau lette pis des bottes à vache lettes. Ses culottes molles ‘taient sales. Avait la tête baissée pis a souriait comme une débile en se r’gardant les pieds. A doit prendre trop de Prozac, stie ! Me semble que tu peux pas sourire quand t’as l’air de t’ça. Faut que tu soyes chockée sué pelules en criss !

On va finir par apprendre qu’est morte tu seule dans sa maison crade pleine de croqurelles. Yark. Y doit pas y avoir une fille dans le monde qui veut être lesbienne avec. A doit pas se raser la plotte. Esti que ça doit puer là.

Eille, tu m’as rappelé des bons souvenirs, toé.


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