Les efforts — 4 février
Je veux bien me botter le cul, mais y a une limite aux coups de pied que mon gros tas de graisse mou peut tolérer. Et y a une limite à ce que mes talons peuvent aussi atteindre. C’est pas évident de se varger l’arrière-train. Ça demande une certaine énergie que j’ai pus.
J’ai fouetté le cheval morfondu, mort ; je l’ai aspergé d’eau froide. Mais y a une limite au nombre de boostage qu’un corps peut subir. T’sais, quand la batterie est à terre pis que l’alternateur la charge pas pendant que tu roules, ça donne ça. Un matin, ça part pus. Tu restes là. Y fait frette, t’as mal dormi, les enfants ont beau crier, ça donne pus rien. La batterie est à terre. T’es à terre. Soit on te répare, soit on te charge, soit on t’envoie à la scrape. Mais c’est plus de ton ressort. T’es une ferraille sans gaz, sans starter. T’as donné tous les coups de pied qui fallait. T’as donné tous les coups de fouet qui fallait. Mais là, tu viens de tomber. Écrasée avec ta tête trop pleine, avec tes idées qui partent dans tous les sens, tes peurs minables, tes angoisses bénignes, tes idées innommables, honteuses, tabous.
Il s’opère un genre de découpage du réel. Un genre de focus, un genre d’éloignement. L’indifférence. Et ça devient encore plus cru, encore plus vrai, encore plus intense. Les éléments se séparent les uns des autres. Tu peux en atteindre qu’un seul à la fois. Et c’est à la mort que tu t’attardes. À la tienne comme à celle des autres, parce que c’est la seule certitude qui t’habite. C’est le seul point d’ancrage dans ton désert en tempête.
Trop de lucidité.
Quand y a une éclaircie, que le soleil se pointe enfin, quelques secondes, quelques minutes, que tu fermes les yeux à moitié, tu le remarques trop tard. Il n’a pas aidé. Il a juste laissé un peu d’espoir, une petite caresse sur la joue qui n’a pas nourri.
Anaway, ça donne rien. T’as marché, t’as couru, t’as donné tous les coups de pieds qui fallait. T’as tendu la main aux autres parce qu’on t’a dit que le salut était là. Pis ça a pas marché. Y t’ont juste sucé plus de jus. Du jus que t’avais même pus pour toi. Y t’ont asséchée encore plus. Aigrie. Mise en miettes, en toutes petites miettes échappées sur le plancher, sur lesquelles ils ont marché, qu’ils ont piétinées à répétition. Ils ont fait sauter le mur, y t’ont mise à nue sur la place publique, le visage en rivière de larmes. Le corps recroquevillé comme dans les films. Assise à terre comme pour te cacher dans une garde-robe, sous le linge suspendu, derrière les boîtes empoussiérées. Pis même ça, ça donne rien, sinon plus d’idées, de mauvaises idées, qui partent dans tous les sens pour construire des possibles interminables d’échecs, de mépris, de rejet, de vaines tentatives.
Focus sur le tas de merde avec ses mouches pis ses asticots. Tu le vois de près, en détail ; son odeur est insupportable, il est insurmontable, infranchissable. T’es à terre. Une batterie de char à terre. Tu t’enfonces dans le sable mouvant, dans l’abysse. Dans un genre de gouffre, une rivière froide, très froide, tu t’engourdis dans le froid, tu t’enfonces avec tes vêtements lourds, mouillés, tu coules, tu dérives, tu fermes les yeux et te reposes enfin.
Quand t’es rendu là, tu cries pus à l’aide. C’est l’endormissement. La course vers l’infini. Le brutal silence. T’arrêtes enfin de penser. T’as demandé de l’aide avant, pour pas tomber à l’eau. Mais là, y est trop tard, t’es ailleurs.
Copyright © Hélène Bard. Tous droits réservés. 2016
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