Le temps — 5 décembre 2016​


Le temps, il se perd dans la durée. Il s’éternise, se défait en de longs filaments qui s’étiolent et se consument. Je n’arrive plus à remonter jusqu’au premier nœud, jusqu’à la première filasse. C’est long, c’est vaste, c’est du déjà-vu, du déjà-touché, du déjà-senti. Ça fuit de partout comme une plaie béante. J’ai perdu le contrôle. C’est hors de moi. Hors de ma volonté.

Attendre, je n’ai fait que ça. Toute ma vie. Tous les jours. Toutes les heures. Attendre que tu me regardes. Attendre que tu me parles. Attendre que tu m’écrives. Attendre que tu daignes me signifier que j’existe. Et j’attends encore, parce qu’au-delà de la ligne d’arrivée, il y a quelque chose d’autre, une autre course. D’autres idées. D’autres buts. Ça ne finit jamais, ça recommence, ça se défait et ça se construit en même temps. Et il faut continuer, vivre, s’accrocher, se conserver.

Le passé s’éloigne. Des il y a dix ans. Des il y a vingt ans. De plus en plus. Des retours en arrière. Des regrets et de la nostalgie. Mais surtout, l’inconstance. Les semaines qui ont duré des années et les jours qui ont duré des heures. Ça ne paraît pas au premier abord, mais ça se relativise. Et malgré tous les mots inutiles, il faut attendre encore. La fin. Le sommeil. Son tour.

Je ne sais rien faire d’autre qu’attendre. Passive dans ma propre existence. Tournée vers l’intérieur, observatrice des événements qui filent. Présente à moitié dans mon propre quotidien. J’attends. Et j’attends encore. Qu’ils grandissent. Que l’été arrive. Que tu me téléphones. D’être plus riche, plus maigre, plus forte. Et ça se disloque avant le dernier tournant. Ça ne tient pas la route. Il faut attendre autre chose. Quelque chose qui m’apaisera. Qui me soulagera. Et ça n’arrête jamais.

J’attends. Et j’ai attendu toute ma vie. Je suis desséchée, momifiée sur place. Embourbée dans les mille et une possibilités que j’ai inventées. Tétanisée pas l’anxiété. Par les et si, les s’il fallait et les j’aurais dû.

J’ai perdu toute ma vie à attendre. Toute ma vie à t’attendre. Une vie qui n’a rien donné. Une attente qui n’a rien donné. « Lâche prise », qu’elle a dit. « Il est temps que tu lâches prise », qu’elle a ajouté. Abandonner. Laisser faire. Me reposer enfin. Me taire. Ne plus y penser. Mais ça recommence. Ça revient, ça en remet. Le temps, il ne s’en va jamais, il s’écoule en longueur dans un chemin conduisant au trépas. La fin, elle s’approche. Je la vois de plus en plus clairement. Le passé devient plus lourd que le présent. L’avenir se rétrécit. Et même au seuil de la mort, j’attends encore. Fol espoir de mieux, de toi.J’ai peur. J’ai peur parce que ça ne s’arrête jamais. Et parce que ça va s’arrêter. Je n’ai plus d’énergie pour suivre les autres. Je n’ai plus d’énergie pour attendre. J’avance en silence, essoufflée, aveuglée. J’ai perdu ma candeur. Il ne me reste que des questions et des incertitudes. Les heures s’étirent. Je m’ennuie, je n’en peux plus de tuer les secondes. C’est un génocide chronologique. Une suite de temps ponctué de soupirs et de gémissements. Si je m’accroche, je m’épuise encore plus. Si je lâche prise, je me retrouve à la merci de l’éternel recommencement.

Copyright © Hélène Bard. Tous droits réservés. 2016


Blogue ​ Les mots inutiles

Hélène Bard

Écrivaine  ●  réviseure linguistique et stylistique  ​●  Mentore littéraire